Plusieurs mois que je publie sans régularité. L’inspiration me fait défaut. Chaque matin pourtant je prends mon petit carnet à la table de la cuisine et j’essaye d’écrire quelques lignes. Mais le plus souvent ce qui vient n’a rien de poétique. Ce sont des mots de préoccupation et d’angoisse qui ont besoin de sortir et qui empêchent le reste de prendre forme. Alors pourquoi toute cette souffrance ?
Je suis doctorante. Je m’avance dangereusement vers la fin de ma troisième année, chaque jour qui passe me rapproche un peu plus d’une échéance dont je me dis que je n’arriverai jamais à la tenir. Il y a trop à faire, trop de livres à lire. Je suis trop lente, je m’y prends mal sans doute, je suis submergée par la perspective de tout ce qu’il me reste à faire et effarée par mon état d’avancement ridicule. Sans arrêt je me dis que les autres doctorant-e-s sont mieux organisés, plus efficaces, plus capables que moi de mettre leur travail en place.
Je n’ai rien de tangible. Je ne me sens pas aussi démunie que lorsque je suis entrée en première année, mais presque. Tout cela fait partie du jeu, je le savais. C’est une chose de le savoir, c’en est une autre de le vivre. Mais ce ne serait rien si ne s’ajoutaient pas à cela des considérations matérielles. Je fais une thèse non financée. C’est-à-dire qu’aucun organisme de recherche ne me donne d’argent pour ces quatre années de travail programmées avec ma directrice de thèse. Il est certain que je suis libre comme l’air, mais en contrepartie je vis dans l’incertitude du lendemain. Pendant deux ans et demi j’ai réussi à m’en sortir en alternant contrats à durée déterminée à temps complet et périodes de recherche plus intenses.
Et puis j’ai quitté Paris. Parce que je voulais une meilleure qualité de vie et un appartement moins cher. C’est ça qui est bien avec la liberté, non ? Mais cela ne s’est pas vraiment passé comme prévu et aujourd’hui je suis dans une période d’étranglement financier. Je peux encore gérer pour deux mois, mais après ? Et si la situation ne se débloquait pas ? Et si je ne pouvais pas réussir à terminer ? C’est une chose de douter de ses capacités intellectuelles, c’en est une autre de se demander si on va pouvoir maintenir son indépendance et son niveau de vie. Les deux ensemble cela fait un petit cocktail acide auquel personne n’a envie de goûter.
En bref je suis déprimée, inquiète, fatiguée, découragée. Et pourtant je continue, et j’écris. Mais rien de très inspiré.
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