Elle met son réveil dix minutes plus tôt tous les matins. Une main qui sort de la couette et qui attrape le téléphone. L’opération se répète plusieurs fois. Finalement elle émerge. Elle s’extrait de sous une montagne de molleton. Choc du froid. Certains matins elle capitule et rabat à nouveau la montagne sur elle. L’opération peut se répéter plusieurs fois.
Routine du matin bien huilée. D’abord le petit déjeuner, un café serré et une galette de riz. Au réveil son estomac est noué, elle y est habituée. Ensuite une douche chaude, plus longue que nécessaire. Souvent elle tombe dans une faille temporelle. Quand elle sort elle est en retard. Systématiquement. Il est ensuite temps de s’habiller et se maquiller.
Elle ne sort jamais sans maquillage. Elle admire ces femmes qui changent de visage dans le métro. Elles exposent leurs cernes et leur teint gris et réalisent sous les yeux ébahis des usagers anonymes une véritable transformation. Elle n’assume pas que l’on voie son vrai visage. Sa mine fatiguée, ses yeux légèrement tombants, son nez empâté, sa bouche trop fine. En appliquant les couches de matière elle a l’impression d’enfiler le masque qu’elle s’est choisi. Ce faisant, elle devient Iris, la femme qu’elle est hors de chez elle. Elle y a si bien réussi que personne ne connaît son vrai prénom.
Aucun homme n’a jamais vu son vrai visage. C’est impossible. Elle se raconte qu’ils la trouveraient trop laide et qu’elle ne le supporterait pas. En réalité c’est elle seule qui se trouve laide, elle seule qui, arbitrairement a décidé de rejeter sa figure.
Souvent elle ne reste pas longtemps chez elle. Elle sort, elle voit des amis. Chez elle, elle n’est plus Iris, elle n’y arrive pas. Chez elle, elle est Françoise, cette identité qu’elle déteste. Malgré ses efforts elle n’a jamais pu se débarrasser de Françoise. Elle lui colle à la peau comme une pellicule de BB crème.